Je connais deux bonheurs: celui de l'instant, où je me précipite, où je cherche à plaire tellement vite, un peu à la manière d'un insecte enfermé dans un verre. C'est un bonheur et une dépossession: je ne suis là que pour l'autre, toute à ce que j'imagine qu'il attend de moi. C'est un bonheur inquiet, fragile, rapide. Furtivement je vis dans sa différence.
L'autre bonheur est plus lent, posé et grave. Je rirais presque de son sérieux. J'attend ses mots, je me les répète secrètement, je les oublie comme je puis pour retrouver le plaisir de m'en souvenir plus tard. J'essaye d'être moi, pour moi seule, comme si c'était le plus beau cadeau que je puisse faire, le meilleur gage que je puisse donner.
Le plus beau, c'est quand les deux se mélangent, comme dans l'expression physique de l'amour, que l'accélération vient surprendre la langueur, que l'interrogation mêlé son amertume à l'enthousiasme.
Le plus vrai, c'est quand on ne décide pas, que les deux s'accordent et se réponde en un rythme secret, dans une architecture magique, un peu comme dans une phrase réussie, belle et souple.
Aujourd'hui je pense aux premières ligne de Point de Lendemain, de Vivant Denon. Elles ont pour moi le rythme du désir.
"J'aimais éperdument la comtesse de *** ; j'avais vingt ans, et j'étais ingénu ; elle me trompa ; je me fâchai ; elle me quitta. J'étais ingénu, je la regrettai ; j'avais vingt ans, elle me pardonna ; et comme j'avais vingt ans, que j'étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l'amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes."