J'ai joué donc et personne n'a perdu. Je me suis un peu perdue certes mais cette errance est, encore, pour l'instant, délectable.
Car le jeu n'est pas innocent. Je sais ce que c'est d'aimer une femme. D'aimer un homme aussi, mais c'est bien autre chose. Avec une femme, c'est plonger délibérément dans le miroir, et accepter d'avoir le front étoilé de ses éclats, les mains écorchées par ses bords et les yeux éblouis par ses reflets.
J'ai joué souvent, autrefois, il y a longtemps. C'était loin dans ma mémoire, blotti en moi, réservé à la caresse secrète de mon esprit quand la nostalgie s'en empare.
Et j'ai rejoué, aujourd'hui. Mais à présent les règles ont changé. Je me suis mariée il y a un an. Il y a un an j'ai fait un choix, pas un sacrifice, non, un choix enthousiaste. J'ai alors changé de jeu, il y avait beaucoup trop de pions désormais dans le jeu de go.
Et aujourd'hui, le jeu est bien plus périlleux. Il a le poids de son charme actuel mais aussi celui du passé, des miroirs baroques, et des vitres sans tain.
Et aujourd'hui, je ne peux plus aller de l'autre côté. Avant je me glissais sans bruit, comme Ophélie dans l'onde, sa jupe déployée en corolle et son visage pâmé parmi les fleurs. Aujourd'hui je ne peux que regarder, embrasser en pensée le reflet du miroir, mais le toucher, non. Sa surface est glacée, mon ongle glisse sur elle sans y trouver la moindre aspérité. C'est ma faute aussi, je suis devenue trop réelle, trop tangible pour le monde secret et nacré du miroir.