J'ose à peine écrire sous cette image. Elle dit tout et mieux que les mots, la chair, le jeu grave et solennel d'un homme avec son destin: l'encerclement d'une mystique charnelle.
Pourtant le cinéma et le théâtre de Pasolini disaient déjà tout: la lumière, la narration secrète d'un homme dressé, le mépris immense et l'amour infini du monde des hommes.
Cependant, cette pièce est nécessaire. C'est le juste, l'exact contre-don à l'oeuvre de Pasolini. Il nous tout donné, à nous son public et ses juges, et la pièce essaye de lui rendre un peu de cette lumière, de cette douleur et de cette poésie. C'est là que les mots sont difficiles: la pièce y parvient exactement, avec l'exactitude de la douleur. Plus encore, elle parvient à être une pièce charnelle vibrante non cérébrale alors que ce qu'elle exprime est au coeur de toute réflexion sur l'art: qu'est ce qu'une mystique artistique ? Elle y répond admirablement sans discours, sans définition, avec sa seule présence et elle pénètre, dans la lumière et l'évidence, les secrets des rapports du créateur à soi, au monde, au public, au corps et à son destin.
C'est une réponse riche et pourtant univoque. Qu'est ce que la mystique artistique ? L'incarnation. L'incarnation du texte, du désir, de la conscience de l'auteur face au monde à l'écran & sur scène. Et la démonstration est admirable, car il s'agit encore d'incarnation sur scène: l'acteur est Pasolini, envoûté par son personnage et ses compagnons disent à chaque instant, par leurs gestes, leur chorégraphie savante et spontanée (... et nous sommes au au théâtre...) la vérité, tangible, brûlante, des corps d'homme, de la chair mobile, de la présence du désir.
Cette pièce porte un secret, un secret audible par la sensibilité seule. Quand elle réincarne le tournage de Théorème, elle n'interprète rien, ni de la position intellectuelle de l'auteur ni de celle du spectateur. Elle incarne la rage, le besoin, le cri. Tout autre chose...
Tout autre chose qu'une biographie ou qu'une analyse donc... Un moment rare, indispensable: on comprend un peu mieux par l'admirable paradigme pasolinien le sens du théâtre, ce don tangible, cette proximité avec le spectateur. On comprend un peu mieux aussi l'incroyable défi du théâtre: pendant la pièce nous restons "les autres", nous comprenons un peu mais nous ne pouvons qu'être spectateur de la chair, de la souffrance et de la vérité de l'autre.
Il demeure que nous aussi, nous avons aimé.